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Transmission d’une exploitation agricole à un héritier : la Cour de cassation revoit sa position sur la donation déguisée

Affaires - Affaires
Civil - Personnes et familles, Bien et patrimoine
07/05/2025

Dans les zones rurales, la transmission d’une exploitation agricole entre générations est fréquente. Elle suscite cependant des interrogations juridiques importantes, notamment lorsqu’un parent vend ses terres à un enfant. Le risque est alors que cette vente soit requalifiée en donation, avec des conséquences notables en matière de succession.

Une vente à prix minoré contestée par un autre héritier

Dans un arrêt du 26 mars 2025 (n°22-23.937), la première chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur une jurisprudence établie. En l’espèce, un père avait vendu à son fils et à sa belle-fille des terres agricoles qu’il leur louait déjà. Le prix de vente avait été réduit pour tenir compte du bail rural en cours.

À son décès, la fille du défunt a demandé la requalification de cette vente en donation, invoquant une libéralité déguisée : selon elle, le prix minoré constituait un avantage injustifié au profit du fils. Elle souhaitait que cette vente soit rapportée à la succession, conformément à l’article 843 du Code civil.

Un revirement sur l’évaluation des terres agricoles

Jusqu’alors, la jurisprudence exigeait une évaluation des terres agricoles comme si elles étaient libres de toute occupation, sans tenir compte du bail rural (Civ. 1re, 21 oct. 2015, n°14-24.926).

La Cour de cassation opère un revirement en affirmant que la valeur des terres doit désormais être estimée en tenant compte de l’existence d’un bail rural en cours, même si l’acquéreur est également l’héritier preneur. Ce changement de perspective repose sur une lecture plus réaliste de la valeur du bien au jour de la vente.

Une libéralité ne se présume pas

La simple minoration du prix de vente liée au bail rural ne suffit plus à caractériser une libéralité rapportable. Il faut aller plus loin dans l’analyse : la réduction de prix est-elle justifiée uniquement par le bail ou va-t-elle au-delà ? Si elle dépasse la décote liée au bail, le juge pourra alors considérer qu’il s’agit bien d’une donation déguisée.

Le juge du fond conserve en tout état de cause un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer si une libéralité existe réellement.

Le raisonnement retenu par la Cour de cassation illustre une volonté d’adapter le droit aux réalités économiques du monde agricole tout en évitant les abus. Les successions agricoles nécessitent donc une attention particulière, tant dans la rédaction des actes que dans leur exécution.

Le cabinet se tient à votre disposition pour vous accompagner dans la sécurisation juridique de la transmission de votre exploitation agricole.